"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

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Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

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Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

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CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

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Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

samedi, avril 27, 2013

LESJUIFSDEVIENNE
AUJOURD'HUI
Source : liberation.fr en ligne le jeudi 25 avril 2013





Que deviennent les juifs
de Vienne?



Importante et très impliquée dans le rayonnement culturel de la Vienne d’avant-guerre, la communauté juive, décimée sous le IIIe Reich, est aujourd’hui très réduite. Et souvent oublieuse de son histoire.

Par
BLAISE GAUQUELIN
Correspondant à Vienne


Soixante quinze ans après l’Anschluss, l’annexion du pays par le IIIe Reich le 12 mars 1938, l’Autriche revient sur la période de la guerre, alors que, contrairement à l’Allemagne, elle avait toujours été très réticente à faire le bilan de son passé nazi. Pour la première fois, le 10 mars, une commission d’historiens a révélé que le prestigieux Orchestre philharmonique de Vienne avait été dirigé de 1954 à 1968 par un ancien nazi, Helmut Wobisch, membre du NSDAP dès 1933 et de la SS dès 1938. La commission rappelle aussi que pendant la guerre, l’orchestre a exclu ses musiciens juifs. Entre 1938 et 1945, six d’entre eux ont été assassinés et onze autres déportés. Toujours à Vienne vient d'ouvrir l’exposition «Nuit sur l’Autriche», avec des photos inédites montrant l’empressement de la population à persécuter les juifs. Il faut cependant relativiser cette prise de conscience : en mars, un sondage révélait que pour 42% des Autrichiens, «tout n'était pas mauvais sous Hitler». Et seuls 15% pensent que l’Autriche aurait dû résister à l’Anschluss.


350 000 tombes juives

En 1938, juste avant l’annexion, il y avait quelque 182 000 juifs à Vienne. Pendant des dizaines d’années à partir de la fin du XIXe siècle, Vienne a été le creuset intellectuel et artistique de l’Europe et, rappelle le germaniste Jacques Le Rider dans son récent ouvrage les Juifs viennois à la Belle Epoque (1), les juifs y occupaient une place importante. De fait, la majorité des intellectuels viennois de l’époque était issue de la bourgeoisie et des classes moyennes juives assimilées. Les écrivains Stefan Zweig et Arthur Schnitzler, le compositeur Gustav Mahler sont les grandes figures de la «modernité viennoise», sans parler du père de la psychanalyse, Sigmund Freud, de l’écrivain Hugo von Hofmannsthal, qui lança avec Salzbourg la mode des festivals, ou du redouté satiriste Karl Kraus.

De cet âge d’or, il reste des cafés, les beaux bâtiments du Ring, un héritage culturel universel et des cimetières. En Autriche, on compte 350 000 tombes juives. En 1945, il restait moins de 5 700 juifs viennois. Les survivants étaient souvent laïcs, mariés à des non-juifs, cultivés et porteurs d’idéaux communistes. Ils seront rejoints dans les années 70 par une population de culture très différente, les juifs originaires de Russie, de Géorgie, du Tadjikistan et d’Ouzbékistan, des travailleurs pauvres et religieux. En tout, pas plus de 25 000 juifs habitent aujourd’hui à Vienne, une mini-communauté, représentée par une organisation religieuse officielle, forte de 8 000 membres, l’Israelitische Kultusgemeinde (IKG). Désormais, la communauté juive autrichienne, c’est cela : un mélange de nouveaux arrivants et de descendants des juifs viennois. Mais à quoi ressemblent les petits-neveux de Freud et Schnitzler ?



L’îlot du pain azyme

Piercing au nez, yeux verts en amande et teint mat, Nicolas Endlicher, un jeune DJ homosexuel, s’aventure rarement dans le IIe arrondissement, à Leopoldstadt, un quartier où boucheries casher et supérettes servent une communauté ouvrière principalement séfarade. Pas son monde. A 22 ans, il veut devenir acteur. Pour l’instant, il est serveur au restaurant Motto, la cantine branchée de Vienne, prisée par la classe politique et les élites économiques et artistiques. Une fois par mois, il mixe dans des soirées underground appelées «Sodome et Gomorrhe» à la Grelle Forelle («truite stridente»), un club techno au bord du canal du Danube. «C’est un peu de l’actionnisme, explique-t-il en référence au mouvement artistique viennois radical des années 60 qui tenta de développer l’art de la performance. On baise et on danse en attendant la fin du monde.» Gamin, Nicolas Endlicher allait à l’école du quartier ; chez lui, on ne parlait pas de religion. «Je savais que ma mère était juive et que mon père ne l’était pas, que ma grand-mère maternelle, résistante, avait été déportée, et que mon grand-père maternel était communiste. Le reste, je m’en fichais un peu.»

Au restaurant où il travaille, il croise régulièrement Heinz-Christian Strache, le chef du FPÖ, le parti autrichien d’extrême droite fondé par d’anciens SS. Servir un type pareil quand on est juif ? Pas question ! Sa mère est contre. «En plus, explique Endlicher, il laisse toujours un gros pourboire, c’est très gênant.» En juin dernier, son frère est mort d’un cancer à 27 ans. «Pour l’enterrer dans le carré juif à côté de ma grand-mère, on a dû payer une taxe parce qu’il n’était pas membre de l’IKG. Il a fallu qu’on prouve qu’il était bien juif ! Ça m’a scandalisé. En 1938, mes grands-parents étaient trop juifs pour les nazis, et leur petit-fils ne l’est pas assez pour les juifs d’aujourd’hui !» Nicolas Endlicher va intégrer l’IKG, personne ne pourra dire qu’il n’est pas juif.

Dans la famille de David Lasar, élu FPÖ de Vienne, on est membre de l’IKG depuis trois générations au moins, il aura donc sa concession sans problème. Le grand-père a porté l’étoile jaune, le père était un Zwangsarbeiter, un travailleur forcé. Un milieu populaire, on parle yiddish à la maison, on apprend l’hébreu à l’école. «Je suis issu d’une famille typique de la Matzes-Insel , "l’îlot du pain azyme", comme on nommait le quartier de Leopoldstadt où ont massivement immigré les juifs de l’Est au XIXe siècle.» En 1914, un quart de la population du quartier était constituée de juifs de Galicie, souvent vêtus de noir et fidèles à la tradition hassidique. Aujourd’hui, le tabac-presse reçu en compensation («Wiedergutmachung») après la guerre existe toujours, mais Lasar n’y travaille plus : il l’a vendu en 1989. «Il n’y a plus que cette tristesse infinie transmise par mon père qui me relie aux juifs d’avant la guerre», dit-il. Conseiller municipal, c’est un opposant acharné du maire socialiste de Vienne. Tous les jours, des Viennois l’arrêtent dans la rue pour des problèmes de logement ou de place en crèche. «Michael Häupl, le maire, ne se bouge plus pour les petites gens, dit-il. Tout ce que la gauche faisait pour les pauvres il y a vingt-cinq ans, c’est nous qui le proposons maintenant.»



Juif et d'extrême-droite


David Lasar, élu du parti d'extrême droite FPÖ.
Un élu juif d’extrême droite au pays d’Adolf Hitler… Ses détracteurs accusent Lasar d’être un Persiljude, un «juif de persil», comme on pose un brin de persil sur une viande avant de la servir. «De toute façon, il n’est pas juif, puisque sa mère était catholique et que chez nous, c’est la mère qui transmet la religion, persifle une mauvaise langue de l’IKG. Il gagne de l’argent grâce à la politique en faisant semblant de ne pas savoir que son parti a toujours été un rassemblement de vieux nazis.» «"Persiljude"… C’est une expression qu’employait Hitler, réplique Lasar. C’est triste que des juifs l’utilisent aujourd’hui contre moi. Qu’ils me jugent plutôt sur mon travail !»

Ici, la communauté juive est assimilée au reste de la population depuis l’Edit de tolérance de 1782, qui permit aux juifs d’accéder aux institutions scolaires publiques et aux métiers dont ils étaient exclus, et qui eut pour conséquence de diminuer l’usage du yiddish et d’effacer les particularités les plus visibles dans la vie quotidienne. Avant la Première Guerre mondiale, les juifs vivaient dans trois quartiers de Vienne : les Ier, IIe et IXe arrondissements. On trouvait l’aristocratie et la haute bourgeoisie, parfois converties au christianisme et assimilées à la culture allemande, dans le Ier, où elles représentaient plus de 20% de la population en 1900. Les classes populaires récemment immigrées de Bohême-Moravie et de Hongrie, puis de Galicie, étaient massées dans les logements insalubres du IIe. Enfin, les intellectuels et les commerçants juifs vivaient dans l’Alsergrund, dans le IXe. «On y observait une forte concentration de médecins, universitaires, enseignants, gens de lettres et journalistes», écrit Jacques Le Rider.

Parmi eux, la mère, les grands-parents et l’arrière-grand-mère d’Elisabeth Jupiter, une psychothérapeute née en 1949. «Dans la rue de ma famille, la rue Serviten, la moitié des habitants étaient juifs, explique-t-elle. Ce n’étaient pas des gens riches, plutôt la classe moyenne cultivée et très assimilée. Mon arrière-grand-mère tenait une charcuterie non casher ! Mes parents détestaient le yiddish ; pour eux, c’était du polonais !» Elisabeth Jupiter est nostalgique de cette vie d’avant-guerre. «On pouvait fêter Hanouka [la fête des lumières, ndlr] et Pessah [la Pâque juive] comme on fête Noël, sans être religieux. On pouvait vivre la tradition de manière collective et laïque», regrette-t-elle.



Elisabeth Jupiter, psychothérapeute : «Dans la rue de ma famille, la rue Serviten, la moitié des habitants étaient juifs.»

Quelque 462 des juifs de la rue Serviten ont été victimes de la persécution nazie. Un mémorial rappelle ce passé aux habitants actuels, qui l’ignorent souvent. «Un tiers des juifs sont morts dans les camps, un autre tiers ont émigré, pour le dernier tiers, on n’a pas retrouvé assez d’indices, détaille l’historienne Barbara Sauer, qui a retracé le parcours de la famille Jupiter en 2005. «A l’époque, l’accessibilité aux archives était médiocre, car l’Autriche invoquait la protection de la vie privée des personnes encore vivantes. On trouverait plus de choses si on cherchait aujourd’hui. Les Jupiter habitaient au numéro 22, appartement numéro 6. Ils n’ont même pas essayé de fuir. Beaucoup ne se sont pas sentis menacés. Ils ont tous été déportés en 1942. La mère d’Elisabeth a perdu ses parents, sa grand-mère et ses tantes.»


«Les blagues et la psychanalyse»

En 2013 à Vienne, à part dans quelques rues de l’arrondissement de David Lasar, il n’y a plus vraiment de quartier où les juifs vivent ensemble. «La troisième génération s’en va, constate Elisabeth Jupiter. Elle va étudier à l’étranger et ne revient plus. Ma génération n’a pas osé partir.» La mère d’Elisabeth s’est mariée en septembre 1945 avec le garçon qu’elle aimait et qui avait survécu. Ayant perdu toute sa famille, elle s’est raccrochée à sa fille. «Mes parents se sentaient tellement autrichiens que mon père disait que s’il n’avait pas été juif, il aurait été aux Jeunesses hitlériennes ! Après la Shoah, ma mère aurait voulu partir, mais elle ne parlait pas de langue étrangère. Lorsque j’étais petite, mes parents ne m’ont pas déclarée comme juive. Si quelqu’un me demandait ma religion, je devais répondre que ça ne le regardait pas. Mon unique culture juive, c’est les blagues qu’on m’a transmises et la psychanalyse.» Désormais, Elisabeth Jupiter écrit des livres sur l’humour dans la thérapie. Dans No, Warum nicht ? («Et pourquoi pas ?») et Mach Witze !, («Rigole un peu !»), elle rassemble pour la postérité et la diaspora ses histoires juives viennoises préférées, les enrichit d’anecdotes personnelles et analyse les effets bénéfiques du rire sur ses patients. Un sujet déjà évoqué par Freud dans son célèbre cabinet de la Berggasse, à quelques encablures de la rue Serviten.



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