"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

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Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

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Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

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CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions
Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

jeudi, novembre 02, 2006

PASSERELLE
Source : liberation.fr Rubrique Rebonds
en ligne le 1er Novembre



Quand on choisit l'extermination des Juifs
comme sujet,
exactitude et dignité sont de rigueur.
Littell, pas si «bienveillant»

Par Florent BRAYARD*


La poésie est possible après Auschwitz et elle peut même prendre Auschwitz comme sujet. Dans la compréhension de ce qui s'est passé, de ce qui s'est joué avec la «solution finale de la question juive», nul ne peut préjuger qu'un ouvrage scientifique sera plus important qu'un film, qu'un roman ou qu'une oeuvre graphique. Il s'agit toujours d'une expérience à la fois spécifique et personnelle, qui peut emprunter bien des chemins. Les préventions que je peux avoir vis-à-vis du roman de Jonathan Littell, les Bienveillantes, ne sont pas ainsi d'ordre disciplinaire. Je suis historien, il est écrivain, tout est pour le mieux. Le problème me semble plutôt qu'il n'a pas respecté le pacte implicite que chacun forme avec soi-même quand il décide, quel que soit son mode d'expression, de prendre l'extermination des Juifs comme sujet. Ce pacte, quel est-il ? Il est difficile à définir : on se dit peut-être qu'on doit être à la fois exact et digne.
Concernant l'exactitude, on saura gré à Littell d'avoir réalisé une sorte d'exploit documentaire. Sans doute, ici ou là, pourrait-on trouver des erreurs : le compte rendu de la réunion de la conférence sur la «solution finale» en Europe, organisée par le ministère des Affaires étrangères à Krummhübel, en avril 1944, indique qu'Eichmann, contrairement à ce que Littell affirme, n'était pas présent, mais qu'il y avait délégué l'un de ses subordonnés. Cela n'a guère d'importance, et Littell est, quoi qu'il en soit, plus respectueux de la vérité historique que ne l'était, par exemple, le si mauvais film de Costa Gavras, Amen. Pour l'historien, c'est même une étrange sensation que de voir ainsi la documentation et les références habituelles de son travail mises en fiction. Maximilien Aue, lui, apparaît un peu comme Forrest Gump : il a la chance de croiser la plupart des figures historiques du nazisme, de tel membre obscur de l'Einsatzkommando 4a, mais cité avec son nom réel, à Hitler. On s'aperçoit que Littell a pris soin, le plus souvent, de faire rencontrer à son héros des criminels qui ont eu la particularité d'avoir survécu à la guerre et délivré de nombreux témoignages dans différents cadres, judiciaires ou non. Ainsi Adolf Eichmann, Paul Blobel, Albert Speer, Konrad Morgen ou Rudolf Höss... Cela lui permet de mettre dans la bouche des interlocuteurs de Max Aue des propos qu'ils ont effectivement tenus, mais des années après les faits. Ainsi Eichmann a bien discouru à plusieurs reprises sur la notion d'impératif chez Emmanuel Kant. S'il l'a fait en 1943, l'année de sa rencontre fictive avec Aue, je l'ignore. Ce que je sais, c'est que, interrogé en Israël par Avner Less, il cita Kant, à la suite de quoi il fut sommé, à la barre du tribunal de Jérusalem, de s'expliquer sur son rapport à l'impératif kantien, le 20 juillet 1961, s'attirant du même coup les foudres d'Hannah Arendt.
Là où Littell se met en défaut vis-à-vis de son devoir d'exactitude ou, en l'occurrence, de vraisemblance, c'est dans la partie proprement fictionnelle de son roman. Comment est-il possible de reprendre les thèses de Christopher Browning sur les «hommes ordinaires» et de faire de son héros la plus invraisemblable créature, affligée de toutes les singularités ? Incestueux, homosexuel, ou encore lecteur de Maurice Blanchot (en 1942 !), tel est Aue. Les nazis étaient moins bizarres, ils faisaient des enfants à leur femme quand ils rentraient de permission, s'achetaient des natures mortes ou des paysages champêtres, et la littérature n'était pas la première de leurs préoccupations. On voit bien que le roman de Littell est encore un collage, mais à l'intérieur du champ littéraire français. Genet est l'un de ses inspirateurs : c'est ainsi sur les lieux où Erik rencontre le bourreau, dans les contre-allées du Tiergarten à Berlin, qu'Aue a son dernier trick ; ensuite, il rencontre un jeune suicidaire sur lequel il reproduit le geste ­ pistolet dans la bouche comme une simulation de fellation forcée ­ qu'avait eu le narrateur de Pompes funèbres sur Jean D. Cela peut être amusant, mais la caractérisation de Max Aue est si improbable que, quand arrive la scène où il est décoré par Hitler, dans son bunker, aux derniers jours du Reich, et que, saisi d'une impulsion, il lui tire le nez, on se demande si ce n'est pas tout simplement son lecteur que Jonathan Littell tire par le bout du nez...
Concernant le deuxième versant de ce pacte implicite, celui de la dignité, la critique littéraire a souligné l'absence de tout caractère voyeuriste dans le livre de Littell. J'aimerais bien pouvoir porter le même jugement. Seulement, il y a un détail qui me gêne. Jonathan Littell raconte avec force précisions la pendaison à Lemberg, au début du mois d'août 1941, de deux notables juifs présentés par les nazis comme des membres de la Tcheka et responsables de centaines d'exécutions sommaires d'Allemands de souche et d'Ukrainiens. Le récit de Littell est conforme à la réalité historique ­ jusqu'à un certain point. Car Littell s'est appuyé sur une série de témoignages recueillis dans le cadre des procédures judiciaires allemandes, en particulier celui du Dr Artur Neumann. Ce témoignage a été publié, parmi d'autres sur le même événement, en allemand puis en français par Ernst Klee dans Pour eux, c'était le bon temps (Plon). Neumann, interrogé par un juge d'instruction, indiquait : «Un camion était arrêté, un homme était debout sur ce camion. Je ne sais plus qui lui passa la boucle autour du cou. En tout cas, le camion démarra, partit, et l'homme resta suspendu au noeud. Dans les spasmes de l'agonie, son pantalon lui glissa sur les pieds.» Ce récit est réécrit par Littell de la manière suivante : «Alors Zorn et un des Waffen-SS leur passèrent le noeud coulant autour du cou. Les deux condamnés restaient silencieux, renfermés sur eux-mêmes. Zorn et les autres descendirent de la planche et Bauer fit démarrer le camion. "Plus lentement, plus lentement", criaient les Landser qui photographiaient. Le camion s'avança, les deux hommes essayaient de garder l'équilibre, puis ils basculèrent l'un après l'autre et balancèrent plusieurs fois d'avant en arrière. Le pantalon de Kieper lui était tombé autour des chevilles.» D'un récit à l'autre, il y a des différences mineures qui tiennent par exemple à ce que Neumann s'est trompé sur le nombre des condamnés, mais il est corrigé par d'autres témoins. On dispose par ailleurs de photographies, également publiées par Klee en Allemagne. Sur l'une d'elle, on voit effectivement que le pantalon d'un des condamnés était tombé sur ses chevilles. Ce qu'on ne voit pas et ce qu'aucun témoin ne décrit, c'est ce qu'écrit Littell ensuite : «Sous sa chemise, il était nu, je voyais avec horreur sa verge engorgée, il éjaculait encore.»
Les pendus, leur érection, leur éjaculation, font depuis des siècles partie de notre imaginaire. Ici, simplement, c'est sur le dos d'un mort réel, cité en son nom propre, que Littell mêle cet imaginaire au récit trop véridique de son exécution. Juif, Wolf Kieper fut une victime parmi des millions d'autres de la barbarie nationale-socialiste. Il n'était sans doute pas nécessaire, par un effet de littérature, de le souiller.


*Historien,
Chercheur au Centre Marc-Bloch CNRS

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