"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma  Ed Universlam


CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions
Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

vendredi, mars 17, 2006


INEDIT

L'écrivain francophone, d'origine camerounaise, Gaston Kelman, a fait partie de la délégation emmenée par les dirigeants de l'Union des Etudiants Juifs de France pour une mission d'informations et d'échanges autour du génocide rwandais. Ce voyage fut aussi un exercice poignant sur le regard croisé des mémoires.

Pour Diasporablogj., Gaston Kelman nous fait part de son témoignage. Bouleversant, mais avec une verve d'écrivain qui donne à ce récit toute la dimension du drame humain qui le sous-tend.





VERS LE RWANDA COMPLIQUE
par Gaston Kelman*


Vers le Rwanda compliqué, je voulais partir avec des idées simples. Un objectif noble : l’Union des Etudiants Juifs de France va à la rencontre de la jeunesse rwandaise pour qu’ensemble, ils disent, plus jamais ça. J’ai l’impression que c’est en réponse au message de mon dernier livre, Au-delà du Noir et du Blanc. Une délégation de rêve : Kouchner, chevalier des temps modernes, créateur de Médecins sans frontières, inventeur du droit d’ingérence humanitaire, plusieurs fois ministre. Il ne pourra pas faire partie du voyage à cause d’une autre urgence, mais nous assiste durant toute la préparation. Taubira, grande dame, candidate à la présidentielle 2002, députée dont la loi sur la Traite, crime contre l’humanité porte le nom ; Sopo, président de SOS racisme ; Pocrain ; des hautes personnalités juives, des journalistes de nom (De Saint-Exupéry) et de renom, Souad la beurette de service et votre humble serviteur.

Puis vint le temps de l’anxiété. Kouchner nous dresse un tableau édifiant de la barbarie humaine à travers l’interminable litanie des génocides et les massacres dont il a été le témoin oculaire et nous avertit que l’on ne revient pas indemne du Rwanda. L’on pense aux victimes avec la larme à l’œil, mais la lucidité de Judith la psychanalyste nous ramène à la réalité, nous rappelle qu’il faut aussi penser aux bourreaux, car en pensant à eux, nous circonscrivons mieux la nature du bourreau qui sommeille en chacun de nous, à côté de la victime. Comme en écho, me revient en mémoire cette lettre d’une lectrice de l’hebdomadaire Jeune Afrique – on y annonce ma participation à ce voyage – qui me met en garde contre une prise de position hâtive en faveur des Tutsis, dont elle me dit que la nouvelle virginité qu’on leur prête ne résisterait pas à un léger décapage rétrospectif. Qu’importe si Hervé, jeune Tutsi de la délégation, dépeint la misère des survivants qui doivent vivre avec le trauma des massacres des leurs dans leur mémoire, des viols et du sida dans leur chair, alors que, nous dit-il, le monde se préoccupe des coupables en prison, bénéficiaires de soins - sinon d’égards -, dont les trithérapies.

Vers le Rwanda complexe, pouvais-je partir avec des idées simples ? Pourtant ce matin brumeux du 14 février, je suis parti. Je m’en suis allé à cheval sur ma naïveté et avec mon humanisme pour viatique. Je suis parti pour écouter, voir, percevoir les rancoeurs rancies, les haines macérées, les traumas destructeurs, l’inouï assourdissant des exhalaisons de rage stérile. Je suis parti pour lire dans les yeux, les gestes, les paroles et les silences, l’inhumain, l’inimaginable. Peut-être ici ou là, un regard furtif de gène, sinon de honte ou de remord, un balbutiement d’humanité, de reconstruction.

Et puis j’ai vu.

Et mon âme meurtrie, arc-boutée sur ses illusions naïvement humanistes refuse d’entendre le crescendo de l’horreur que distille la voix impersonnelle de notre guide au mémorial de Kigali. Comment peux-tu raconter l’innommable avec ces accents du quotidien ? Et les images succèdent aux images ; plaies à jamais prostrées dans la béance. Images d’enfants – tel, 6 ans, aimait le foot, tel autre 4 ans, les bonbons, celui-là 12 ans, le rap - souriant au-delà de la mort. Et mon esprit est monté d’un cran dans son refus de croire en la barbarie humaine : vous, bon dieu de Tutsis de malheur, que leur avez-vous donc fait pour les transformer en brutes ?

J’eusse tant aimé que la victime se transformât un tout petit peu elle aussi en coupable, partageât cette culpabilité, pour me réconcilier avec le bourreau. Mais me revenait toujours lancinante cette prophétie de Golda Meir que ne cessait de nous répéter Richard Prasquier, vice président du CRIF et membre de notre délégation : « Les Allemands ne nous pardonnerons jamais le mal qu’ils nous ont fait». Et à la sortie du mémorial, l’esprit perturbé, ne sachant plus où j’étais, ni où j’en étais, à Yohan notre jeune caméraman qui voulait recueillir mes impressions et qui me demandait ce que j’avais retenu de cette visite, j’ai balancé un «Rien» insipide, caverneux, sombre, inhumain, puis j’ai pu verser des larmes d’humanité, de tristesse et d’impuissance. Jouissance ultime, unique. Et ce soir, parce que la vie devait continuer, comme si nous devions nous laver de ce que nous avions vu, nous nous en sommes allés noyer notre chagrin dans les vapeurs enfumées et alcoolisées de la boîte de nuit du Kigali Business Center, au son de la fête africaine et de la voix suave des belles locales qui vous promettaient les délices de la vie qui doit continuer.

Demain sera un autre jour.

Et après-demain.

Que voudriez-vous que je ressentisse au mémorial de Murambi devant ces corps passés à la chaux et déposés sur des étagères, à ces touffes de cheveux, à ses lambeaux de chairs desséchées, sur des squelettes ; devant ses squelettes comme de la viande boucanée, où l’on pouvait deviner le nourrisson d’une cinquantaine de centimètres à côté d’un adulte, pour une éternité de l’indicible. Me permette mon âme que je ne franchisse point un certain seuil de l’honneur, que mon esprit naïf se barricade quand un spectacle n’a plus de nom.

Puis nous sommes partis à la rencontre de la vie ; brisée, en miettes, en lambeaux. Le mot espoir a-t-il encore du sens, quand on ne peut plus poser à un enfant, à une jeune étudiante, des questions aussi simples, aussi banales, aussi rituelles que : où sont tes parents ? Puisque la réponse fusera toujours la même, harassante, comme agaçante : mais je suis la seule, le seul survivant de ma famille. Quand Elise, 9 ans en 1994 pendant le génocide, qui riait l’instant d’avant, vous entraîne sans transition et sans préavis pour un voyage en enfer en vous racontant son histoire. Et de camp d’orphelins en associations de veuves, nous avons arpenté les couloirs de la vie hantée par la mort passée, toujours présente ; par la mort présente que fait encore planer la menace de ces bourreaux tapis dans l’ombre et qui empêchent de témoigner sinon sous le couvert de l’anonymat.

J’ai pleuré, j’ai prié, j’ai interpellé le destin afin qu’il me fasse voir un juste. J’ai voulu croire que gaçaça, ces tribunaux populaires de la réinitialisation et du repentir ne soient pas vains. J’ai rencontré un juste qui avait sauvé, « par la seule grâce de Dieu », avoue-t-il avec modestie, quatre cents personnes. J’ai même rencontré des rescapés qui croient encore en Dieu, dont la foi s’est renforcée au fur et à mesure que l’homme devenait monstre.

Le voyage du Rwanda restera à jamais l’une des plus puissantes parmi mes expériences d’homme. Je sais que la brute qui sommeille en l’homme reparaîtra tôt ou tard pour reproduire une copie conforme de la Shoah, du Rwanda, de l’Arménie, du Cambodge…

Mais j’ai aussi compris que la flamme humaine reprendra toujours le dessus pour que la vie l’emporte toujours sur la mort. Je sais que l’humanisme qui a conduit cette jeunesse sur les chemins du Rwanda pour une rencontre fraternelle avec l’autre, l’emportera toujours sur l’obscurité de la mort. Et je pense à Benjamin, Arielle, Loïc, à Léa, à Raphaël, Joseph, Déborah, 3 fois David, Béa, Alain, Harold, Arthur, Marco, Mais aussi à, Thierry, Jeanne, Aicha, Hervé, Etienne. Et je dis merci et je dis ma foi en la jeunesse.

D’un Rwanda complexe, je suis revenu, avec vos fantômes, sans mes rêves, mais convaincu que la vie émergera toujours des cendres et des larmes, car le bois d’un cercueil peut servir à faire deux berceaux.


Gaston Kelman


ouvrages publiés :

"Au-delà du Noir et du Blanc"
Max Milo Editions


"Je suis noir et je n'aime pas le manioc"
Max Milo Editions
10/18

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